KAPWANI KIWANGA
2 février 2020 – 14 juin 2020
Kapwani Kiwanga
Prolongée jusqu’au 14.6.2020
Kapwani Kiwanga, vues d’exposition Centre d’art Pasquart 2020; Courtesy the artist, Galerie Poggi, Paris, Galerie Tanja Wagner, Berlin, Goodman gallery, Johannesburg / Cape Town; photos: Stefan Rohner; © Adagp, Paris, 2020
Fondé sur des recherches, le travail deKapwani Kiwanga (*1978, CA / FR) questionne des histoires marginalisées ou oubliées, en utilisant formellement plusieurs médiums comme la sculpture, l’installation, la photographie et la vidéo. Elle met en dialogue ce travail de recherche avec la matérialité convaincante de ses œuvres, avec laquelle elle fait référence aux phénomènes sociopolitiques, au syncrétisme ou aux conséquences globales des structures du pouvoir. L’exposition monographique met en lumière la carrière de Kiwanga au moyen d’une sélection d’œuvres majeures, représentatives ou récentes. Le parcours d’exposition fonctionne comme une narration avec deux axes principaux: L’exposition explore l’impact de l’architecture disciplinaire et des éléments spatiaux sur le corps humain. L’artiste examine également des récits postcoloniaux et traditionnels où vérité et fiction se mêlent.
Dans la vie quotidienne, nous rencontrons des espaces qui influencent et régulent notre comportement. Les œuvres de Kapwani Kiwanga se penchent sur la dynamique du pouvoir de l’architecture et étudient l’effet des bâtiments publics sur le corps humain. L’artiste se concentre sur le design, et plus particulièrement, sur la couleur des pièces dans les écoles, les prisons, les hôpitaux ou les institutions psychiatriques. Dans l’exposition, nous plongeons d’abord dans l’atmosphère de pink-blue (2017) dans laquelle le rose Baker-Miller lumineux contraste avec le bleu des néons. Cette ambiance souligne l’ambivalence entre la volonté de protection et la sécurité garantie par des mesures disciplinaires, ainsi que le contrôle de l’espace et la restriction de la liberté. Kiwanga nous invite à réfléchir sur l’impact social de l’utilisation de la couleur: l’éclairage bleu des passages souterrains et des toilettes publiques contribue-t-il vraiment à réduire la consommation de drogues? Est-ce que les prisonniers sont effectivement apaisés par des cellules peintes en rose? La couleur des intérieurs institutionnels est également questionnée dans l’assemblage sculptural Patchwork (2018). Les panneaux de cette œuvre s’inspirent des murs aux surfaces bicolores. Jalousie (2018) reproduit la structure d’un paravent à lamelles. Kiwanga combine le matériau des miroirs sans tain utilisés dans les salles d’interrogatoire et certaines salles d’entreprise. En reprenant la forme familière des lamelles, elle associe ainsi le concept de surveillance systématique des autorités avec un élément de l’environnement domestique qui implique protection, vie privée et intimité. L’ombre rayée rappelle peut-être un après-midi de vacances paresseux et fait également référence à l’architecture coloniale que l’on peut trouver de la Nouvelle-Angleterre nord-américaine jusqu’aux zones climatiques tropicales. Kiwanga fait allusion en particulier à la surveillance des Noirs qui a longtemps été une norme sociale et politique, et dont les effets sont toujours actuels. Kiwanga suit également ce principe dans les deux sculptures Glow #6 (2019) et Glow #7 (2019) qui reviennent sur la «lantern law» (loi de la lanterne) de l’époque coloniale. Une loi adoptée au 18e siècle à Boston et dans toute la Nouvelle-Angleterre exigeait en effet que tous les esclaves portent une bougie allumée après le coucher du soleil s’ils n’étaient pas accompagnés par une personne blanche. C’est l’architecture de contrôle qui façonne une partie de l’exposition et crée une qualité résolument physique et psychologique des alentours du bâtiment. Ici, le corps est soumis à la dictature du voir et de l’être vu, et est obligé de se mouvoir en suivant des lignes et des structures spatiales prédéfinies.
Le point de départ du travail artistique de Kapwani Kiwanga est surtout l’analyse et la recherche de documents d’archives qui transmettent des récits historiques ou des événements politiques. Sa pratique se concentre particulièrement sur les concepts des luttes anticoloniales et leur héritage, ainsi que sur les cultures populaires et folkloriques. Cette recherche a abouti à des travaux d’une puissante matérialité, au travers de laquelle elle évoque l’agriculture ou les effets globaux du colonialisme. Red Sky at Night (2018) fait allusion à l’adage tiré de l’Evangile selon Matthieu «Red sky at night, shepherd’s delight, red sky in the morning, shepherd’s warning» (Ciel rouge la nuit, joie des bergers, ciel rouge le matin, alerte aux bergers). De plus, elle recourt au matériau utilisé dans l’agriculture industrielle à grande échelle pour recouvrir les champs et optimiser les conditions climatiques afin d’augmenter la rentabilité des ressources. Avec ce tissu obscurcissant, Kiwanga suggère une relation entre l’agriculture, la structure du pouvoir mis en place par la colonisation et l’efficacité économique. Cette situation engendre l’expropriation et la délocalisation. Ailleurs, l’artiste remet en question la manière dont fonctionne l’historiographie, les systèmes autoritaires ainsi que la production de savoir, et subvertit la compréhension officielle de la vérité en complétant l’histoire par la croyance populaire et la spiritualité. Avec Nations (2018, 2019), elle examine la relation entre les croyances spirituelles et l’insurrection politique. Kiwanga crée des œuvres en tissu et en métal qui sont orientées vers le langage formel des drapeaux ou des bannières. Le drapeau prend une double signification: il symbolise les États-nations et renvoie au drapeau Loa, un objet sacré dans la culture vaudou. L’artiste fait ainsi référence à la révolution haïtienne et au rôle que le vaudou y a joué. Cette lecture alternative du passé et du présent englobe une diversité de perspectives inhérentes aux moments sociaux et politiques récurrents. Kiwanga mêle délibérément vérité et fiction pour faire vaciller les récits prédominants et créer des espaces dans lesquels les discours oubliés peuvent s’épanouir.
En 2018, Kapwani Kiwanga a reçu le Sobey Art Award (CA) et le Frieze Artist Award (USA). En 2019, elle a été nominée pour le Prix Marcel Duchamp 2020. Des expositions monographiques ont été présentées au MIT List Visual Arts Center, Cambridge (USA); Albertinum Museum, Dresde (DE); Artpace, San Antonio (USA); Esker Foundation, Calgary (CA); Tramway, Glasgow (UK); Fondazione Sandretto Rebaudengo, Turin (IT); Power Plant, Toronto (CA), Logan Center for the Arts, Chicago (USA); South London Gallery, Londres (UK); Jeu de Paume, Paris (FR). Elle a participé à des expositions collectives au MACBA, Barcelone (ES); Whitechapel Gallery, Londres (UK); The Austin Contemporary, Austin (US); Serpentine Galleries, Londres (UK); Yuz Museum, Shanghai (CHN); National Gallery of Canada, Ottawa (CA); Contemporary Arts Museum, Houston (USA); CCA, Derry (UK); Centre Pompidou, Paris (FR); The Contemporary Art Gallery, Vancouver (CA); Hammer Museum, Los Angeles (USA).
Kapwani Kiwanga est représentée par la Galerie Jérôme Poggi, Paris; la Galerie Tanja Wagner, Berlin; la Goodman Gallery, Johannesbourg/Le Cap.
Commissaire de l’exposition
Stefanie Gschwend, collaboratrice scientifique Centre d’art Pasquart
Publication
L’exposition est accompagnée d’une publication publiée par les éditions Verlag für moderne Kunst (eng / fr / dt).